9.4.10

Déambulation 16. Tristes chantiers

Comme on dit, j’étais fier de ma shot. Les trois derniers billets sont tellement logiques. Ils sont arrivés en même temps ou presque; ils sont droits comme le chemin le plus simple et pourtant sinueux comme la déambulation. Le chantier est arrivé comme une réponse, voire comme une rédemption. Un quasi bâtiment troué de toutes parts, mi amorcé mi achevé, avec la lumière crevant les façades comme si elles étaient faites de papier : trop facile. Trop beau pour être vrai.

De déchets en chantiers, de clôtures en morceaux de brique, je suis abouti en plein Centre-Ville. J’ai dû me rendre à l’évidence : les chantiers m’ont transporté jusqu’ici pour me péter ma bulle, comme on dit, pour que s’effondrent les belles réponses, la belle rédemption. Pour que le chemin revienne sur lui-même dans une grande tristesse.

J’étais fier de ma shot, mais je ne suis pas fier de ces chantiers.

 

En théorie, un chantier, c’est extraordinaire. J’y ai même consacré une partie dans mon mémoire de maîtrise, jadis. Mais il faut faire fi du building qui se construit : tour à bureaux de compagnies d’assurance, édifice Québécor, condos de luxe dans un quartier pauvre, église transformée en lofts de riches. En plein cœur de ce qui sera le Quartier des Spectacles qu’on essaie de nous vendre avec des lumières par-ci et des rêves par-là, une toute autre réflexion sur le chantier s’impose à moi. Sur Ste-Catherine, entre Jeanne-Mance et un peu au-delà de St-Laurent, une dizaine de chantiers gisent là, sans action et, à ma grande surprise, sans beauté. Je n’étais pas émerveillé. Je n’étais pas lancé dans cette belle théorie de la présence et de l’absence, dans l’intervalle tant recherchée.

Pas d’intervalle, ici. Que le résultat d’un carnage. Une grande tristesse.

 

La boutique érotique Romance est vidée de ses charmes : plus de mannequins aux sexes et aux seins disproportionnés, plus de boas de plumes, de talons hauts transparents, de jeux sexuels, de godemichés, de menottes, de fausses fesses en silicone. La vitrine la plus baroque en ville est remplacée par un mur de bois. Même l’enseigne « boutique Romance » est à peine lisible, comme si le rouge-passion était mort de chagrin.
Le Superock, avec ses vaillants tatoués dont le courage sous les aiguilles se donnait autrefois en spectacle, est désormais remplacé par une sombre vitrine qui reflète tristement le grand vide du quartier. Traînent quelques bouts d’asphalte abandonnés au bord du sol éventré. Je le vois dans le reflet de la vitrine de l’ancien Superock, dans le reflet de la vitrine de l’ancienne boutique Romance.

Dans les reflets, je vois les grands espaces vacants ponctués ici et là de camions sales et de cônes aux couleurs criardes. Je vois les clôtures qui séparent ces chantiers placés pêle-mêle et empêchent l’accès à ces lieux d’antan. Pas de place pour circuler, encore moins pour penser. Pas de place pour se souvenir des couleurs et des gens, des petits spectacles qui se donnaient là, en abondance, et qui seront troqués pour des spectacles plus grands, vus mille fois partout et par tous.

Lumières et rêve, mais pas une âme qui vive. Ce sera là un spectacle auquel je refuserai de participer, car j’ai dû en voir un plus triste et plus violent, celui du viol de tout un quartier, de toute une mémoire.

Tristes chantiers que j’ai vus là. Et le printemps, dans tout ça?


 

 

1 commentaire:

  1. Maude2.6.10

    Tu sais comme j'aime les chantiers. Je te rejoins pourtant dans la tristesse de celui du "Quartier de spectacles".
    Un chantier c'est un champs de possibles, des ruines qu'on n'abandonne pas, c'est vide et habité.
    Ceux de ce coin de mythique sont tout autre chose. On sait ce qui est détruit et ce qui sera construit après et ça n'a rien d'un champs de possible, rien des ruines habitées.

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