22.10.09

Déambulation intérieure 1. Café Névé

Première visite.

On y va surtout pour travailler. C’est ce que je me suis dit en entrant dans ce nouveau café en plein cœur du quartier portugais. Une quinzaine de personnes, une quinzaine de tasses de café, quelques sandwiches, biscuits et verres d’eau, et surtout plusieurs Mac Books qui monopolisent toute l’attention des travailleurs, laissant le lieu dans le silence le plus complet. Premier hic : on entend les mouches voler. Pas même une musique de fond pour cacher le seul bruit du lieu : les doigts qui courent sur les claviers.


Commander à la caisse, un café au lait svp, pas cher, me dis-je. Le bruit infernal de la machine à café a quelque chose de gênant dans un lieu si silencieux. Le barista prend tout de même la peine de dessiner avec le lait moussé une feuille dans mon café, comme un appel à la nature, un rappel au silence ambiant. Je souris en m’assoyant ; le dessin fait son effet.


En buvant une première gorgée absolument délicieuse de ce café que je redoutais, je m’aperçois que quelque chose de particulier dans la déco m’amuse. Très bois et très turquoise. Deux couleurs dont je doutais les qualités d’agencement. Quelque chose de vaste et de bien séparé. Quelques photos au mur du fond, rien de cliché, rien de cheap. De très belles photos qui n’ont rien à voir avec les œuvres qu’on expose dans la plupart des cafés à défaut d’être « exposables » dans des lieux plus élégants et plus sérieux. Au travail : j’ai des tonnes de corrections.


J’ai failli pleurer quand je me suis aperçu que j’ai oublié la plupart des copies chez moi. Une petite séance de correction de 15 minutes et hop, c’est fini, me voilà bredouille, seul dans un café où tout le monde est sérieux, où tout le monde travaille, où pas même une guitare ne se fait entendre. Je me sens lâche parmi les travailleurs, je me sens comme mes étudiants oisifs et paresseux. Deuxième hic : on ne dirait pas un café pour prendre le temps de boire un café seul, puisque tout le monde produit, tape, écrit, puisqu’il n’y a même pas de couples d’amis qui échangent au sujet des babioles achetées dernièrement, des déboires amoureux ou des potins du quartier.


Enfin, un couple entend mon désespoir et se met à échanger un peu trop fort au sujet de conneries insupportables. En anglais, bien entendu, comme si tous les petits cafés étaient anglos, et je me mets à réfléchir, à lire, à écrire. Je me mets à observer les clients, le petit couple insupportable et les travailleurs à mes côtés, les écrans d’ordinateur qui affichent d’un côté un document complexe et de l’autre une page facebook ou myspace : ah! au bout du compte je ne suis pas le seul à ne rien faire ! L’idée me vient de photographier ce lieu qui m’a l’air de plus en plus magique, mais ma caméra est restée couchée sur ma pile de copies sur mon bureau. Je n’en fais pas un cas : je reviendrai avec des copies ou mon Mac Book et je travaillerai en consacrant un côté de la table à facebook, à myspace, à ma caméra ou aux amis, question de laisser la porte ouverte à l’oisiveté.


Troisième visite.

On y revient. Déjà une qualité. Trois irritants, toujours les mêmes.

Trop de gens du plateau/mile-end se pavanent littéralement, se sont habillés comme pour danser, fixent les autres en quémandant les regards jaloux, clients et employés inclus.

Trop silencieux : on évite de parler fort. Le jour, on dirait une bibliothèque avec de la musique et des gens beaucoup trop conscients de leur apparence.

La musique est diversifiée, pas un problème, mais il y a des limites. 13h : Yeah Yeah Yeah’s, Why?, on voit le genre. 14h : Pop des années ’90. Gros bof. 15h30 : Lil’Wayne, Common, Kanye West. On ne déteste pas, mais on se méfie. 16h20 : disco de cabane à sucre dans le genre celebrate good times come on. Refus : je vais aux toilettes (turquoise, brun et beige; le thème des couleurs se poursuit jusqu’aux chiottes, c’est bien pensé). 16h35 (heureusement, le disco a peu duré) : Rock indé hipster un peu britpop. Je sors du café sans l’ombre d’une envie d’écouter de la musique.


Trois hics qui dérangent parfois beaucoup, mais qu’on endure généralement assez bien. N’est-ce pas les mêmes irritants que je trouve au Cagibi, ancien Esperanza (on dirait que le Névé en est le petit frère) ? Pourtant, on y retourne. Ces cafés ne sont jamais vides et, au bout du compte, il y a véritablement quelque chose de rassurant dans ces irritants : en allant au Névé, je sais maintenant que j’y rencontrerai quelques montréalais beaucoup trop fiers de leur quartier, de leurs fringues et de leurs MacBook, que j’entendrai de la musique que je connais par cœur, aussi diversifiée soit-elle, que le silence ambiant contribuera sans doute au travail qui m’attend tout en me permettant de facebooker dans l’anonymat. Quelque chose comme chez moi : au final, je suis peut-être moi aussi un Montréalais comme mes voisins du Névé, fier de mon quartier, fier de la musique que j’écoute, fier de mes fringues et fier d’avoir un endroit où aller pour travailler toute la journée, au vu et su de tous.

J’y retournerai souvent, au Névé, car j’ai compris aujourd’hui que ce café n’est pas comme les autres. Il a su garder entre ses murs quelque chose de propre à Montréal, une fierté sans doute qui se fait parfois trop rare dans les cafés.



Site web du Café Névé
Page facebook du Café Névé
*La photographie sur laquelle les gens travaillent aux ordinateurs a été prise par Benoit Jodoin. Il était avec moi, lors de la troisième visite. Si vous avez des suggestions d'endroits, faites-moi signe: déambuler à deux, c'est toujours plus amusant.

2 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  2. En te lisant, j'ai le goût d'aller dans ce café, de retrouver cette atmosphère d'étudiants, de flâner un peu moi aussi, entre deux coups à donner, deux séances de travail.
    Cette photo où quelques étudiants, bien concentrés, travaillent, nous l'avons tous vu, et elle me rend nostalgique de cette période...
    Bonne idée que de déambuler dans des cafés ainsi, je vais réfléchir à ceux dans lesquels j'aimerais te voir flâner, réfléchir, ne rien faire, ou écrire....

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