2.3.09

Déambulation 9. L'expérience métonymique

Premier avertissement : il n’y aura qu’une seule image. Les autres sont inintéressantes, comme plusieurs œuvres visuelles auxquelles j’ai eu à me confronter dernièrement. Deuxième avertissement : le texte est long, lourd et confus. J’écris rondement et je prends des raccourcis qui deviennent des détours. C’est comme ça, quand je n’ai pas beaucoup d’images.

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La ville est une scène, oui, mais aussi une galerie. Si on regarde un bout de la ville comme on regarde un espace d’exposition, quelque chose se produit. Un déplacement du sens, une sorte de métonymie (je commence à parler en figures de style : déformation professionnelle), car la ville devient l’espace dans lequel s’exposent nos actions. Parler d’une partie de la ville qui fonctionne comme un espace de diffusion artistique, c’est parler du rôle de la ville en entier. Voilà. C’est un statement.

Ces endroits sont abondants. Suffit de savoir les regarder. Exemple : en pleine Nuit Blanche, parmi la foule et dans le froid, mes amis et moi avons décidé de nous réfugier au-dessous de la ville, littéralement, dans le réseau sous terrain aménagé pour l’événement en un interminable parcours d’exposition. Interminable est le bon mot : après une heure de marche et uniquement à mi-chemin, nous avons abandonné, incapables de voir une belle image de plus (ou une image laide-mais-c’est-parce-que-c’est-voulu). La plupart des œuvres étaient totalement dépourvues de sens et d’intérêt (ce n’est pas une opinion personnelle, c’est indiscutable, c’est comme ça, c’est tout), mais mon intention n’est pas de faire une critique d’une activité organisée pour une foire urbaine de laquelle on ne s’attend pas, de toutes manières, à de la qualité, mais bien à de la quantité. Mon intention : je ne sais pas, mais j’ai réfléchi.

J’ai réfléchi, oui, et je suis arrivé à plusieurs conclusions qui n’ont rien à voir avec ce blogue (autre support qui, je l’admets, ne vise pas toujours la qualité, mais trop souvent la quantité), à l’exception d’une piste. Celle de la ville entière comme une galerie.

Dans ce parcours d’art sous terrain, souvent je me suis surpris à accorder bien plus d’importance aux longs couloirs, aux néons si bien disposés (parfois à la verticale, parfois à l’horizontale, bien cachés entre deux tout petits murets de brique blanche ou dissimulés sous des grilles brillantes en acier très design), aux quelques coups de génie architecturaux qui se trouvaient sous l’Hôtel W confrontés à quelques mètres des horreurs de béton de la place Bonaventure, si bien que les œuvres exposées passaient parfois au second plan. En fait, mon regard a fait quelque chose qui m’a ému (je suis plus souvent ému par les contorsions de la pensée que par les beaux sentiments touchants, cutes ou tristes) : il a transformé, de temps à autre, ce long couloir ponctué de couleurs, d’ouvertures, de magasins ou simplement de longues séries de briques blanches, de plâtre ou de béton, en dispositif d’une œuvre d’art dont nous, les visiteurs, faisions partie. Sans nous, me suis-je dit, sans moi, ces lieux n’existent pas. Avec nous, ils n’existent qu’un tout petit peu car on y passe généralement pour ne pas y rester. Mais ce soir-là, en pleine Nuit Blanche, le rendez-vous a fait en sorte que les lieux sont devenus réels, se sont transformés, sont passés du non-lieu habituel et archi-théorique à un lieu à la fois réel, visible et éphémère comme le sont la plupart dans le milieu de l’art.

On pourrait dire que je l’ai regardé encore pour la première fois, que je l’ai reconnu et qu’à partir de cette reconnaissance, le lieu a commencé à porter un sens nouveau. Ce sens nouveau s’est transmis, s’est projeté vers moi (ou peut-être est-ce un sens que j’ai porté préalablement et qui s’est projeté vers le lieu ?) et m’a forcé à trouver ma caméra dans le fond de mon sac et de photographier les murs, les gens qui passaient et qui, pour une fois, s’arrêtaient pour voir. Oui, j’étais ému.

L’émotion s’est rapidement dissipée en regardant les photos que je venais de prendre : elles étaient encore moins intéressantes que celles accrochées aux murs du parcours sous terrain. Même pas assez bonnes pour les publier sur un blogue. Normal. Un peu frustrant, certes, mais normal, car la ville offre un décor qui ne se voit que par l’expérience C’est en expérimentant ma propre présence dans un lieu que le sens est né. Photographier cette expérience est une barbarie, car c’est tenter de la fixer. Or, la photographie met aussi en mouvement. Elle crée une nouvelle expérience à laquelle se confronter. Impossible de le faire en un coup de doigt en plein milieu d’une émotion. En tout cas, moi, je n’y crois pas.

Donc, ça n’a pas fonctionné. Des images d’une platitude incroyable, de celles qu’on ne veut pas effacer mais qu’on passe vite quand on les regarde. Je n’ai gardé qu’une seule qui, malgré sa piètre qualité technique, semble porter le poids de toute l’expérience sur ses épaules et qui pourtant ne la raconte pas. Je trouve que le regard des gens au milieu de ce couloir jaune et blanc projètent la même lumière que les néons. Ici, le décor se mêle à la présence. C’est aussi ça la ville, quand on la regarde comme il le faut.

2 commentaires:

  1. Oui. Là, en avant, c'est mon chum. Et à côté, c'est mon ami. Et derrière, c'est le chum à ma soeur. Revenez-en. Ce n'est pas important. Comme, pas du tout. Franchement.

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  2. c'est beau en foncé. le foncé c'est toujours plus beau. sauf dans les yeux.

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