20.11.11

Déambulation 40. Cette peur avant la joie.

J’avais peu à faire et le soleil brillait de cette lumière particulière qu’on ne voit qu’à l’automne. J’ai mis le pied dehors pour profiter du beau temps et de ces émotions qui m’habitaient : un certain vertige, une allégresse, mais aussi cette drôle de peur qui s’installe tout juste avant les événements heureux. 

Ma belle-sœur mettait au monde un enfant. J’ai cru bon acheter des fleurs. 


C’est un geste on ne peut plus traditionnel que je pose encore rarement tant il souligne ma maturité : n’est-ce pas que seuls les adultes achètent des fleurs? 

J’entre toujours chez le fleuriste à tâtons. Pendant que je regarde inutilement les arrangements floraux posés ça et là entre la porte et le comptoir, j’ai l’impression que mon manteau pourrait accrocher un vase et le faire tomber. Je tente de lire le nom des plantes sans en comprendre la provenance. Je les trouve toutes belles et je me dis que ce serait trop compliqué. Je n’y connais rien. Je me sens loin de chez moi, les odeurs me montent à la tête, je préfère les feuilles mortes, oranges et brunes. Mais on n’offre pas des feuilles mortes à une femme qui vient de donner la vie. 

Patiente, la fleuriste m’attend, alors que j’hésite. Longuement. On m’a dit que les bouquets d’automne ne sentent pas trop fort, on m’a dit que ce serait apprécié après l’accouchement. Ça tombe bien.

Je finis par choisir sans être convaincu – je ne le suis jamais. La fleuriste toujours patiente prend une éternité pour confectionner le bouquet. Je choisis une carte pour écrire un message. Je pense au message. Ça ne vient pas. Je le ferai plus tard, en chemin vers l’hôpital, en pleine errance. Je pense à ma belle-sœur, je pense surtout à ce qu’aura l’air cet enfant, ce qu’il aimera. Les fleurs seront pour la mère. La carte, pour l’enfant. 


La fleuriste a fait un beau travail : je suis ému. Je pars avec les fleurs et la carte encore vierge pour enfin déambuler. J’a beaucoup à marcher et un peu de temps devant moi. Je croise une amie qui passe rapidement avec un sourire; j’oublie que je tiens un bouquet de fleurs dans mes bras. C’est que la lumière est si belle et me rappelle d’autres jours aussi bien éclairés : cette journée où j’ai marché en zigzags pour me rendre au mariage d’une amie, cette autre journée où j’ai photographié quelques coins de rue près du quartier dans lequel j’allais m’installer, cet après-midi passé à me promener tranquillement pour arriver enfin dans un parc où l’on avait organisé une fête pour le long départ en Europe de ma sœur. Cette année, tous ces moments importants étaient précédés de cette peur avant la joie, d’une petite marche en plein soleil, celui-là même qui réchauffe les fleurs. 




Je ne croyais pas aborder ces événements aussi grandioses que banals. Un mariage, un départ, une naissance, un déménagement : tous ces événements tant attendus et pourtant si nombreux arrivent sans doute plus régulièrement à un certain âge. Je ne suis qu’au début de cette longue route vers la maturité, je n’en suis qu’aux premières fleurs. J’entreprends heureusement ce chemin avec la lenteur et le vertige nécessaires à celui qui erre. 



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