26.11.10

Déambulation 23. Promesse d'hiver

Je dois dire que cette saison me rend fou. Je tombe dans le danger de l’éparpillement comme on se jette tête première dans un nouvel amour. Il fallait s’y attendre : une charge de travail beaucoup trop lourde et variée a tracé le chemin de l’automne : tout, en dehors du travail, serait perçu comme une distraction, comme un frein à l’efficacité et à la cohérence. Cette semaine, on m’a dit « décidément, tout va bien pour toi, ces derniers temps ». Drôle de commentaire; « bien » est un drôle de mot. Je dirais plutôt « excès ». Tout va dans l’excès pour moi, ces derniers temps. 

Ce blogue est devenu une distraction pour l’excès de travail qui m’attend encore. Cependant, dans une logique de l’excès tout à fait paradoxale, j’ai rarement été aussi productif. Chaque billet publié me laissait dans un état de motivation extraordinaire et le vertige qui s’en suivait venait directement du rythme de la réflexion qui avance encore à pas de géant. Me voici d’ailleurs récompensé pour cette distraction devenue pratique centrale dont la marge est le travail (et non le contraire). Y a-t-il un mérite pour l’excès?

Contrairement à l’hiver passé, cet automne est alors productif. Je mène de front une triple charge de cours épuisante, des réflexions plus assidues à l’égard de ce blogue (quoique la publication de billets se fait toujours aussi lente) et l’écriture plus ou moins active d’un nouveau projet de poésie. J’ai même eu le temps de m’ennuyer de mon amoureux et d’aller le visiter à deux reprises à New York, ville qui n’a pas encore connu mes copies d’étudiants à corriger, mes cours à monter ou mes poèmes à écrire. La culpabilité s’est pointée à quelques reprises, sans vraiment m’envahir (pas le temps d’accorder de l’importance aux sentiments inutiles) : à quelques semaines de la fin de la session, à moins d’un mois des fêtes d’hiver, je retrouve une respiration normale dans l’envie de continuer à écrire et à déambuler. 

Néanmoins, voici un excès de plus que je vis un peu comme un problème : je sens m’habituer à la déambulation en pays étranger. Problème de pacotille, j’en conviens, la misère des riches, celle des excès comme un manège qui ne s’arrête plus. Un problème qui brouille mon regard vers le passé imprimé sur les photographies.



En fouillant parmi les dernières photos que j’ai prises cet automne, j’ai compris pourquoi la déambulation à l’étranger m’est si fascinante. Il ne s’agit pas vraiment du désir d’exotisme, de dépaysement ou de nouveauté, puisque je jouis de cette étrange faculté de trouver mes aises très rapidement en de nouveaux territoires. Il y a peut-être un peu de fuite dans tout ça (mais qu’est-ce que je fuis, sinon le quotidien, l’enfermement dans un appartement trop petit, l’isolement, le pire ennemi de la déambulation?), mais surtout l’appel d’une certaine recherche d’histoire(s). J’attendais ce moment avec peur et m’y voici : Montréal est une ville que je connais trop. Une solution moins coûteuse serait de m’aventurer dans des quartiers moins connus, plus éloignés, plus particuliers, mais c’est si chic de voyager! Je l’ai déjà écrit ici : je pars pour mieux revenir, avec pourtant la peur de ne jamais savoir quand le retour arrive véritablement. Logique de l’excès, encore…

J’ai pris peu de photos à New York. La caméra m’a servi d’accessoire touristique peu utile dont les résultats ne sont devenus que des souvenirs de plus dans mon ordinateur. Une petite histoire parmi tant d’autres, alors que je réalise aujourd’hui que mon regard cherche davantage la grande histoire, de la mémoire. J’ai peine à comprendre encore ce que signifie concrètement la « mémoire des lieux » – je  ne parle pas de camps de concentrations, de monuments ou de cimentières dont le vertige est trop grand et la mémoire trop évidente; je ne parle pas d’appartements inconnus, de ruelles ou de cours d’écoles dont la mémoire est bien souvent une construction mielleuse, si personnelle qu’elle devient impersonnelle. Je parle de quelque chose entre les deux, peut-être de lieux abordés il y a quelques mois qui abritent aussi des sortes de refuges d’une plus petite collectivité (homosexuelle, ici), de lieux avec lesquels j’entretiendrais une relation provoquée par l’expérience immédiate ouvrant la voie à une mémoire qui se construit à même le regard. C’est encore trop abstrait pour donner des exemples, mais un sentiment assez rapproché de ce que je tente en vain d’exprimer s’est imposé quand je suis tombé sur cette photo pourtant banale.



Je voudrais retourner à New York pour revoir ce panneau brûlé et tenter de comprendre la mémoire qui m’a traversée. Je ne le ferai pas, car le retour est déjà une construction. La mémoire se dilue ou s’exacerbe avec la distance. Cette fois, je sens qu’elle disparaitra. 

J’irai ailleurs, pour cette mémoire. Un autre excès. J’irai dans une ville nordique dont je rêve depuis des années, là où une nouvelle histoire archi privée (une histoire d’amour magnifique dont je ne suis qu’un spectateur) est venue construire une mémoire qui dépasse toutes les autres. J’irai aussi retrouver une seconde ville que j’ai rencontrée il y a plus d’un an, une ville gorgée d’une grande Histoire, une ville autrefois incendiée comme l’a chanté Rufus, une ville qui a pourtant su panser ses blessures et se tourner vers un avenir parfois clinquant, toujours séduisant. Dieu sait si j’arriverai à entendre, voir et sentir la mémoire de tous ces nouveaux lieux, si j’arriverai à déambuler comme je le faisais jadis, si je retrouverai à Montréal une mémoire plus simple à traverser avec mes pas. 

Ce nouveau voyage est un énorme excès, le dernier de cette année, le premier de l’an prochain. Ce nouveau voyage, je le fais avec la promesse de changer mon parcours déambulatoire afin de revenir sur terre, revenir à Montréal, reprendre mes bonnes vieilles rues et bifurquer un peu par-ci par-là, photographier le ciel, le bitume et l’horizon blanc de cette ville d’hiver. 

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